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jeudi 2 février 2017

Motif batik: Mega Mendung

En ces rudes saisons -notre hiver est  celle des pluies en Indonésie- au dessus de la mer de Java, le ciel s'emplit de cumulo-nimbus géants qui proposent au rêveur un spectacle infini.


L'un des motifs classiques du batik javanais est visiblement descendu du ciel : le motif Mega Mendung.

http://tokoada.fr/accueil/94-batik-tulis-motif-mega-mendung-bleu.html


"Mega" signifie nuage en sanskrit, et "Mendung" évoque en indonésien l'accumulation des nuages avant la pluie. 
On utilise aussi le mot "mendung" pour décrire un visage empreint de tristesse.



Ce motif est étroitement lié à la ville de Cirebon, située à la limite du territoire de Java Ouest, vers Java Centre.
C'est une une ville à l'identité un peu particulière, où l'on ne parle ni javanais, ni soundanais comme à Java Ouest, mais le cirebonais, un mélange des langues voisines, avec son originalité propre. 


Cirebon se prononce "tchirébonne" et s'est autrefois orthographié "cheribon"


"Cirebon" pourrait venir du mot "Caruban" qui signifie mélange en javanais. 

Cette ville portuaire ouverte sur la mer de Java connait depuis des siècles une forte influence chinoise.

En témoigne l'exploration de l'épave de Cirebon, une des plus anciennes de la mer de Java.




On retrouve sur le frontispice  du Keraton Kasepuhan, l'un des palais de Cirebon, le motif Mega Mendung, dans sa version verticale plutôt qu'horizontale.





La mairie de Cirebon, remarquable bâtiment dans le plus pur style Art Déco, présente aussi le fameux motif sur son mur d'enceinte.


http://tokoada.fr/accueil/89-batik-tulis-motif-mega-mendung-framboise-et-rose.html

On reconnaît cette façon particulière de représenter les nuages dans d'anciennes peintures chinoises.
  
Peinture murale des grottes de Mogao, Dunhuang, province du Gansu, Chine

Cirebon est aussi l'une des portes de la pénétration  de l'Islam à Java à partir du XVème siècle, comme tout le Pasisir, la côte nord de Java.


http://tokoada.fr/accueil/90-batik-tulis-motif-mega-mendung-vert.html


 L'expansion de l'Islam à Java autour du XVème siècle est portée par les "Wali Songo", les neuf saints dont les tombeaux sont vénérés encore aujourd'hui.



Sharif Hidayatullah, connu sous le nom de Sunan Gunung Jati, est le deuxième sultan de Cirebon.

La légende raconte que pour donner une preuve d'amour à  sa femme, la princesse chinoise Ong Tien, fille de l'empereur de Chine, Sunan Gunung Jati fit imprimer sur un batik le motif Mega Mendung qu'il avait vu sur les céramiques chinoises, et le lui offrit le jour de leur mariage.




Les exégètes du batik  voient dans ce motif différents messages:


http://tokoada.fr/accueil/87-batik-tulis-motif-mega-mendung-noir-et-blanc.html



Ari Wulandari rapporte que les lignes du nuages qui se séparent, s'élargissent et se rejoignent, sont une représentation de la vie humaine, en constant changement: La naissance en un point, l'élargissement représentant l'apprentissage de la vie sociale, puis les lignes se rejoignant évoquent l'accomplissement de l'individu, et l'unification au tout pour revenir à son origine.



Selon Iwet Ramadhan, cette forme de nuage stylisé représente la situation d'un pays en paix, particulièrement s'il est nuancé avec 5 couches de couleurs. Il rappelle que "nuage" en mandarin signifie aussi "prospérité". 
Combiné avec le dessin d'une chauve-souris, l'idée de chance et de prospérité est accentuée.

A cela s'ajoute l'amour, l'espérance et la source de joie, symbolisme porté par la légende du cadeau du sultan à la princesse chinoise.

http://tokoada.fr/accueil/92-batik-tulis-motif-mega-mendung-rose.html

Il existe d'autres interprétations de ce motif, et de la même façon que l'on peut déceler des formes en observant le spectacle changeant du ciel nuageux, on peut imaginer encore d'autres messages cachés dans les courbes du motif Mega Megamendung.

Photo @Loïc Marchat


jeudi 7 mai 2015

Motif Parang

Les motifs traditionnels du batik javanais, au delà de leur fonction ornementale, sont porteurs de messages, ils donnent des informations sur l'âge ou le statut  social de celui qui le porte, certains motifs sont destinés à des circonstances particulières, d'autres ne peuvent êtres portés que par la famille royale.


C'est le cas du motif Parang, directement attaché au Sultan.


Traditionnellement, il ne peut être porté que par le Sultan quand le motif est grand (Parang Barong), pendant les rites religieux ou la méditation, ou par des personnes attachées à la famille royale, pour les motifs plus petits (Parang Klithik). Aujourd'hui le batik s'est démocratisé et tout le monde porte le motif qu'il veut, le plus souvent sans en connaître la portée symbolique. Cependant il reste inconvenant de porter un motif Parang dans l'enceinte du Kraton, le Palais du Sultan, et inconcevable en sa présence.


Si les interprétations de la symbolique du motif Parang sont variées, on s'accorde à en attribuer l'origine au Sultan Agung, du royaume de Mataram (1613-46).
D'après Iwet Ramhadan, le Sultan Agung méditait face à la mer du Sud de Java, et la force des vagues tapant contre les rochers du rivages lui inspira ce motif.

Tracé en diagonale sur le tissu, le motif Parang comprend deux formes: 
- La forme des vagues, les courbes, "Gareng".
-La forme des creux formés dans les rochés par l'érosion maritime,  les losanges, Mlinjon


Gareng est un personnage du wayang javanais (le théâtre d'ombre qui raconte les épopées du Ramayana ou du Mahabarata), représentant la sagesse et l'omniscience, il est capable de résoudre des problèmes en proposant des solutions acceptables pour tous.



Mlinjon représente les trous crées par les vagues dans les rochers, où vont se développer de nouvelles sources de vie. Aussi le sultan doit-il être intègre comme le roc et avoir la capacité de créer des sources de vie pour les gens qui l'entourent.
Le motif symbolise également la sagesse et le charisme, la royauté et le pouvoir absolu.



Une autre interprétation attribue au Parang une leçon d'éthique javanaise plus générale: la vie doit être basée sur l'effort en vue d'un accomplissement matériel et spirituel, et plus particulièrement pour le Roi qui se doit d'être réfléchi, conscient, de garder le contrôle de lui-même et d'être prudent.

La forme "Gareng" et la signification du mot "Parang" (Keris/dague) amènent aussi à associer ce motif à un symbole exclusivement masculin, louant les qualités guerrières de celui qui le porte. Cette interprétation est plus récente.

Les javanais appellent aussi ce motif "Lidah api", la langue de feu.



Sans doute y-a-t-il encore des messages contenus dans ce motif dont j'ignore l'existence, tout contributeur bien informé sera le bienvenu en commentaire!

mardi 17 février 2015

Batik Jawa

Le batik est un mode d'impression textile millénaire, partagé par plusieurs cultures à travers le monde, porté sur l'île de Java en Indonésie à un degré de raffinement achevé, où il est un élément culturel emblématique.

source:http://kumeokmemehdipacok.blogspot.fr/

Le mot "batik" vient du javanais "titik" qui signifie "faire des points" en référence au mode d'application traditionnelle de la cire, souvent déposée sur le tissu par gouttelettes qui forment des points.

Les motifs du batik javanais sont particuliers et porteurs de sens.


Il est difficile de dater précisément les débuts du batik à Java, mais on trouve déjà, par exemple, le motif "lereng" sur une statue de Shiva en or datant au IXème siècle, près de Wonosobo, à Java centre (voir ici), ou le motif "ceplok" sur le vêtement de Ganesh dans le temple de Banon près de Borobodur, datant de la même époque.

Le batik est intimement lié aux Palais et à l'histoire des sultans de Java. L'utilisation de vêtements de cérémonie en batik serait avérée au XVIIème siècle, sous le règne du sultan Agung , souverain du royaume de Mataram à Java. Jusqu'en 1930 le port du batik est réservé à l'aristocratie et à la cour. Certains motifs sont strictement attachés à la famille royale et jusqu'à aujourd'hui il est inconvennant de les porter en présence du Sultan.

- Poussez la porte des palais javanais: ici


La position de l'île de Java, au coeur de l'archipel indonésien, en fait  un lieu ouvert aux influences extérieures depuis les temps immémoriaux, portées par les navigateurs indiens, chinois, arabes ou européens, motivés par le désir d'exploration et d'expansion, attirés par les richesses naturelles de l'archipel. La culture indonésienne est faite de ces influences mêlées qui ont modelé les styles du batik indonésien au fil des siècles.

source:luk.staff.ugm.ac.id

S'il on trouve des batiks originaires de Lampung ou Jambi à Sumatra, de l'île de Madura ou du pays Sunda à Java Ouest, la production provient principalement de Java Centre. Chaque ville cultive son style, les villes royales de Solo (Surakarta) ou Yogyakarta produisent un batik classique dans les tons de terre, celui des villes du Pasisir, côte nord de Java, comme Cirebon, Pekalongan ou Lasem (Rembang) sont caractérisés par l'emploi de motifs particuliers et la prédilection pour certaines couleurs.


source:iwandahnial.files.wordpress.com

Il existe aujourd'hui plusieurs techniques de fabrication du batik:

Batik Tulis: la plus haute qualité de batik et le procédé le plus long, où la cire est appliqué à l'aide d'une sorte de stylo, le canting.

Batik Cap: où la cire est appliquée à l'aide de tampon de cuivre, le cap, en motif répétitifs; procédé manuel de production en série.

Batik Print: qui utilise la sérigraphie, manuelle ou mécanisée ou l'impression par imprimante rotative. Le terme batik ne s'applique plus dans ce cas que par extension, désignant les motifs inspirés du batik traditionnel.

Batik Kombinasi: combinant les procédés: par exemple, un batik sérigraphié peut être ensuite rehaussé par application de cire au canting.


Le batik javanais est enfin et surtout intimement lié à son territoire par les motifs qui s'inspirent généralement de la nature, réinterprétant à l'infini  le dessin des entrelacs végétaux ou des algues, les silhouettes oiseaux ou des animaux marins.



mercredi 4 juin 2014

Genjer-Genjer

Reprise ici par Filastine, Genjer-genjer est une chanson populaire à l'histoire particulière.

Ecrite dans les années 40 par M. Arif, elle évoque la vie difficile des indonésiens sous l'occupation japonaise. A l'époque on peine à se nourrir et pour agrémenter le riz blanc les javanais cueillent le "genger" une sorte de mauvaise herbe poussant parmi les rizières, dont le nom scientifique est "Limnocharis flava".

Photo: Rik Schuiling / TropCrop - TCS


Les paroles sont en javanais, voici une traduction:
Genjer-genjer nong kedokan pating keleler
Genjer-genjer nong kedokan pating keleler
Les genjers sont répandus dans les carrés de rizière

Emak'e thole teko-teko mbubuti genjer

Emak'e thole teko-teko mbubuti genjer
Une mère vient arracher les genjers

Ulih sak tenong mungkur sedhot sing tolah-toleh
Après avoir rempli une corbeille elle part sans regarder derrière elle

Genjer-genjer saiki wis digowo mulih
Les genjers sont ramenés à la maison
Genjer-genjer esuk-esuk didol ning pasar
Genjer-genjer esuk-esuk didol ning pasar
Les genjers sont vendus au marché tôt le matin

Dijejer-jejer diuntingi podho didhasar

Dijejer-jejer diuntingi podho didhasar
Tous alignés, rassemblés en paquet, présentés sur l'étal

Emak'e jebeng podho tuku nggowo welasah
Des mères les achètent et les mettent dans leur panier

Genjer-genjer saiki wis arep diolah
Les genjers vont être cuisinés
Genjer-genjer mlebu kendhil wedang gemulak
Genjer-genjer mlebu kendhil wedang gemulak
Les genjers sont plongés dans la marmite d'eau bouillante

Setengah mateng dientas yo dienggo iwak

Setengah mateng dientas yo dienggo iwak
Cuits à point, égouttés, servis en accompagnement

Sego sak piring sambel jeruk ring pelonco
Une assiette de riz, de la sauce pimentée au citron, sur le divan

Genjer-genjer dipangan musuhe sego
On mange le genjer avec du riz

Ces paroles d'une inoffensive simplicité sont pourtant celles d'une chanson qui va marquer l'histoire moderne de l'Indonésie.
Pendant l'euphorie de l'indépendance "Genjer-genjer" est reprise par deux chanteurs populaires, Lilis Suryani et Bing Slamet.




Le PKI ensuite, parti communiste indonésien en plein essor jusqu'en 1965, en fait une sorte d'hymne, cette chanson évoquant la dure condition des travailleurs qu'il entend défendre.

Pour résumer grossièrement les événements troubles de 1965, qui virent le pouvoir passer des mains de Sukarno, le président de l'indépendance, à celles du général Suharto, on doit évoquer le massacre d'une partie de l'état major de l'armée de terre, qui fut attribué aux communistes, à la suite de quoi Sukarno fut mis à l'écart et Suharto pris la direction du pays, jusqu'en 1998.

Il était donc important pour Suharto de bien faire comprendre à son peuple que les communistes étaient d'affreux conspirateurs assoiffés de sang, il fit donc tourner un film de propagande largement diffusé, notamment en séance scolaire obligatoire, et ce, dès l'école primaire.

Voici un extrait de ce film qui met en scène le massacre sanguinolent et tragique des héros de la nation par des impitoyables communistes, qui scandent "genjer,genjer" comme un cri de guerre:





Les premières années de l'ordre nouveau instauré par Suharto furent marquées par une redoutable chasse aux sorcières envers toute personne ayant de près ou de loin eu des sympathies communistes, on dit que près d'un million de personnes furent massacrées, beaucoup d'autres jetées en prison. 

La chanson "genjer-genjer" fut désormais interdite.



Le documentaire de Joshua Oppenheimer "the Act of killing" ramène durement aux consciences la réalité de ce génocide et ses liens avec l'Indonésie actuelle qui peine parfois à en reconnaître la réalité et l'injuste cruauté. Ces derniers mois encore, des rassemblements à la mémoire des victimes ont été violemment attaqués par des groupes sans doute nostalgiques du bon vieux temps où l'on avait trouvé une bonne raison de faire couler le sang.

Aujourd'hui on peut chanter "Genjer-genjer" en liberté mais en traversant les décennies la mélancolie de cette douce mélodie s'est amplifiée.