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vendredi 28 août 2015

Le Joglo Marseillais



Le chant des cigales évoque en général le farniente estival, mais pour le travailleur saisonnier provençal ces stridulations  rythment une activité frénétique.


Nous avons présenté nos batiks sur la place publique; marché du matin, foires nocturnes, bazar, marchés créateur ou vente privées se sont enchaînés, et la réjouissante échéance du prochain voyage à Java s'est approchée.




Le premier pas du périple est un passage obligé par le Consulat indonésien à Marseille pour accomplir les formalités de visa.  De là nous avons fait un petit pas chassé pour admirer une curiosité locale, dont j'ai eu connaissance grâce à une belle rencontre tissée sur les réseaux sociaux, qui nous rapproche un peu plus de l'Indonésie.

Connaissez-vous le Théâtre du Centaure?
La compagnie se présente en ces termes:

"C’est exactement ce que Michel Foucault appelle une « hétérotopie », le lieu physique réel de réalisation d’une utopie. Un espace concret qui héberge l’imaginaire comme une cabane d’enfant, un espace à la fois mythique et réel.

Concrètement, le Théâtre du Centaure c’est une famille d’une dizaine d’équidés et d’humains qui ont construit ensemble un mode de vie et de création spécifique. Village, écuries, lieu de travail et de fabrique, où dix personnes et dix chevaux oeuvrent tous les jours à la réalisation d’une utopie."




Dans le 8ème arrondissement, au pied des collines, le village du Théâtre du Centaure est disposé en cercle autour d'une vaste cour: Chapiteau, écuries, roulottes d'habitation, et - rareté exotique - joglo javanais!




Le joglo est une maison traditionnelle javanaise en bois, caractérisée par une forme carrée, un toit à 4 pentes avec plusieurs inclinaisons sur chaque pan, et une structure particulière de la charpente.
Ici il s'agirait presque d'un simple pendopo, qui est une forme élémentaire de l'architecture classique javanaise : un toit soutenu par les piliers de bois, agencés comme un joglo, mais sans cloison extérieure. Le joglo/pendopo du Théâtre du Centaure, lui,  est fermé par de larges baies vitrées.
A l'origine, le pendopo est un lieu de rassemblement, d'audience, de spectacle dans les demeures des personnes de haut rang.



L'élément le plus remarquable est la partie centrale de la charpente maintenue par 4 piliers, les guru soko.



Cette partie centrale, Tumpang Sari, est composée d'un faisceau de bois sculptés s'élargissant vers le haut et lie l'ensemble de la charpente.
Les motifs en bas et moyen relief ont une symbolique renvoyant à la vie terrestre en général, et en rapport avec le statut social de son propriétaire.




Palais du Sultan de Yogyakarta





A l'extérieur le toit recouvre une terrasse en galerie tout autour du Joglo.


Pour cette construction, Camille et Manolo, principaux instigateurs de cette "hétérotopie", ont fait venir le bois de teck préparé depuis Java ainsi que des artisans indonésiens pour réaliser le montage.




Puis, pour harmoniser l'ensemble à cette note indonésienne, ils ont  également construit les écuries en bois de teck sculpté de Java.




Ces écuries sont un écrin à la mesure des magnifiques chevaux de la troupe du Théâtre du Centaure.

Lusitaniens, Frisons, Espagnols ou Portugais, les chevaux du Centaure sont des animaux choyés comme les stars le méritent.



Dans la chaleur accablante de cet après-midi de juillet, ils sont au calme, assoupis  dans leur box ventilé. Peu d'entre eux daignent laisser admirer leur port majestueux en sortant la tête vers la galerie qui longe les deux écuries, de part et d'autre du joglo. Mais il m'a suffit de croiser le regard d'Hydra, la seconde moitié de Manolo, concentré, fier, transperçant, pour comprendre que c'était un être sortant du commun, j'étais aussi intimidée que surprise par la forte présence de cet artiste.


 

Tout ici respire l'harmonie, l'ensemble est agencé avec une exigence esthétique stricte et cohérente, et l'impression générale, paisible et décontractée - particulièrement à cette heure de sieste estivale - renvoie à celle que m'ont laissé les palais javanais où les vastes cours sont animées doucement par d'impassibles gardes ratissant les feuilles mortes ou fumant une kretek sous un pendopo.





A présent, j'espère avoir la chance un beau jour de voir, sous le chapiteau du Théâtre du Centaure où dans un des lieux insolites qu'ils investissent lors de leurs performances,  ces acteurs, hommes et chevaux, réalisant leurs œuvres.



Mais avant cela nous devons accomplir un nouveau voyage à Java afin de renouveler notre offre et notre âme aussi!

mercredi 4 juin 2014

Genjer-Genjer

Reprise ici par Filastine, Genjer-genjer est une chanson populaire à l'histoire particulière.

Ecrite dans les années 40 par M. Arif, elle évoque la vie difficile des indonésiens sous l'occupation japonaise. A l'époque on peine à se nourrir et pour agrémenter le riz blanc les javanais cueillent le "genger" une sorte de mauvaise herbe poussant parmi les rizières, dont le nom scientifique est "Limnocharis flava".

Photo: Rik Schuiling / TropCrop - TCS


Les paroles sont en javanais, voici une traduction:
Genjer-genjer nong kedokan pating keleler
Genjer-genjer nong kedokan pating keleler
Les genjers sont répandus dans les carrés de rizière

Emak'e thole teko-teko mbubuti genjer

Emak'e thole teko-teko mbubuti genjer
Une mère vient arracher les genjers

Ulih sak tenong mungkur sedhot sing tolah-toleh
Après avoir rempli une corbeille elle part sans regarder derrière elle

Genjer-genjer saiki wis digowo mulih
Les genjers sont ramenés à la maison
Genjer-genjer esuk-esuk didol ning pasar
Genjer-genjer esuk-esuk didol ning pasar
Les genjers sont vendus au marché tôt le matin

Dijejer-jejer diuntingi podho didhasar

Dijejer-jejer diuntingi podho didhasar
Tous alignés, rassemblés en paquet, présentés sur l'étal

Emak'e jebeng podho tuku nggowo welasah
Des mères les achètent et les mettent dans leur panier

Genjer-genjer saiki wis arep diolah
Les genjers vont être cuisinés
Genjer-genjer mlebu kendhil wedang gemulak
Genjer-genjer mlebu kendhil wedang gemulak
Les genjers sont plongés dans la marmite d'eau bouillante

Setengah mateng dientas yo dienggo iwak

Setengah mateng dientas yo dienggo iwak
Cuits à point, égouttés, servis en accompagnement

Sego sak piring sambel jeruk ring pelonco
Une assiette de riz, de la sauce pimentée au citron, sur le divan

Genjer-genjer dipangan musuhe sego
On mange le genjer avec du riz

Ces paroles d'une inoffensive simplicité sont pourtant celles d'une chanson qui va marquer l'histoire moderne de l'Indonésie.
Pendant l'euphorie de l'indépendance "Genjer-genjer" est reprise par deux chanteurs populaires, Lilis Suryani et Bing Slamet.




Le PKI ensuite, parti communiste indonésien en plein essor jusqu'en 1965, en fait une sorte d'hymne, cette chanson évoquant la dure condition des travailleurs qu'il entend défendre.

Pour résumer grossièrement les événements troubles de 1965, qui virent le pouvoir passer des mains de Sukarno, le président de l'indépendance, à celles du général Suharto, on doit évoquer le massacre d'une partie de l'état major de l'armée de terre, qui fut attribué aux communistes, à la suite de quoi Sukarno fut mis à l'écart et Suharto pris la direction du pays, jusqu'en 1998.

Il était donc important pour Suharto de bien faire comprendre à son peuple que les communistes étaient d'affreux conspirateurs assoiffés de sang, il fit donc tourner un film de propagande largement diffusé, notamment en séance scolaire obligatoire, et ce, dès l'école primaire.

Voici un extrait de ce film qui met en scène le massacre sanguinolent et tragique des héros de la nation par des impitoyables communistes, qui scandent "genjer,genjer" comme un cri de guerre:





Les premières années de l'ordre nouveau instauré par Suharto furent marquées par une redoutable chasse aux sorcières envers toute personne ayant de près ou de loin eu des sympathies communistes, on dit que près d'un million de personnes furent massacrées, beaucoup d'autres jetées en prison. 

La chanson "genjer-genjer" fut désormais interdite.



Le documentaire de Joshua Oppenheimer "the Act of killing" ramène durement aux consciences la réalité de ce génocide et ses liens avec l'Indonésie actuelle qui peine parfois à en reconnaître la réalité et l'injuste cruauté. Ces derniers mois encore, des rassemblements à la mémoire des victimes ont été violemment attaqués par des groupes sans doute nostalgiques du bon vieux temps où l'on avait trouvé une bonne raison de faire couler le sang.

Aujourd'hui on peut chanter "Genjer-genjer" en liberté mais en traversant les décennies la mélancolie de cette douce mélodie s'est amplifiée.