mercredi 13 mars 2013

Les très beaux tissus de Troso

Jepara est connue pour l'artisanat du bois, je n'en ai pas encore parlé ici, mais ça ne saurait tarder, quand  j'aurai mieux fait connaissance avec tous les aspects de cette petite industrie qui s'étend partout et concerne tout le monde ici.




La fabrication de tissu, si elle est répandue dans toute l'Indonésie, est moins connue comme une spécialité de Jepara. Pourtant non loin du centre ville, dans la commune de Troso, plusieurs ateliers fabriquent à l'ancienne des tissus de grande qualité qui sont toujours l'objet d'un vif intérêt pour les indonésiens. 




Tandis qu'en France le textile en général et les vêtements en particulier sont le plus souvent des objets de consommation massive fabriqués en usine (indonésienne aussi souvent...), où la compétitivité du prix ou le prestige de la marque font loi, en Indonésie continue de se développer un artisanat qui reconnaît toute la valeur du travail fait main (dans le tissage comme dans l'impression des motifs), et beaucoup d'indonésiens, s'ils en ont les moyens, sont prêts à payer le prix fort pour accéder à l'incomparable qualité de ce type de tissu.
Les boutiques de couturiers sont nombreuses, elles reçoivent beaucoup de commandes de particuliers, et le magasin de tissus que nous avons visité était animé, bien que situé à l'écart du flux de circulation principal.

En face de cette boutique propre et bien rangée à l'atmosphère feutrée, l'atelier: un hangar immense cerné par une flottille de scooters entre lesquels on se faufile pour accéder à la ruche claquetante. Des dizaines de métiers à tisser en bois sont posés sur la terre battue entre les murs de briques poussiéreuses, sous une voûte de tôle ondulée où l'enchevêtrement des toiles d'araignées s'étale comme un hommage à l'inspiration du génial inventeur de la première trame qui servit à nous vêtir.






Devant chaque métier, un homme ou une femme répète des milliers de fois le même geste, les mains courant d'un levier à l'autre, il marque parfois une pause pour réajuster l’entrelacs des fils resserrés sous l'action conjuguée du mécanisme antique et des impulsions de son corps, insufflant un supplément d'âme à la confection de l'étoffe.



 Le rythme saccadé de chaque métier participe à la cacophonie ambiante, et contraste avec l'impassibilité des visages de ceux qui accomplissent patiemment cette tache. Ils seront payé au mètre et si mes rapides calculs sont justes, la main d'oeuvre constitue près de la moitié du prix du tissu.






Assises par terre des femmes préparent des bobines de fil, déroulées sur des roues de vélo, plus loin un homme pétrit de ses pieds une étoffe dans un bassin.
Constatant la difficulté de ce travail on conçoit facilement le progrès que la machine représente mais on se demande aussi ce que feraient d'autre tous ces ouvriers pour gagner leur pain. Dilemme récurent de la modernité...



C'est toute la patience et l'humilité de ces travailleurs, infiniment respectables, qui fait perdurer ce métier traditionnel, et ce sont aussi sans doute ces valeurs fondamentales que le peuple indonésien honore en accordant toujours autant de prix aux si beaux tissus de Troso.

dimanche 27 janvier 2013

La vie en vert

Le vert mériterait sa place sur le drapeau indonésien. 
Je ne sais pas encore pour quelles raisons il est rouge et blanc, mais s'il était vert cela s'expliquerait facilement.

Avant même de poser le pied en Indonésie, c'est le vert vif et clair de la végétation qui saute aux yeux depuis le hublot, dans la descente. Les pluies généreuses et la terre fertile de Java en font un jardin luxuriant, et les rizières partout éclairent le paysage de polygones parfois presque fluorescents. 


C'est aussi une couleur sainte en Islam, les mosquées sont donc souvent vertes, ou au moins en partie:

Grande mosquée de Cirebon
Les Wali Songo sont les 9 saints qui amenèrent l'Islam à Java

Ce vert des rizières murissantes me fascine, éphémère et printanier dans nos contrées, il est ici présent partout.


  

Témoin d'une nature vigoureuse, le "vert rizière" est à la mode ces temps-ci en Indonésie, et à mon grand étonnement de française habituée aux tons plus neutres en décoration, ce "vert pomme" est ici très utilisé.

 


En France, je n'ai vu qu'une seule fois une maison verte. Mais l'année suivante, elle était repeinte couleur coquille d'oeuf, ne conservant le vert que sur les huisseries. Sans doute les services de l'urbanisme, régissant en général de façon stricte les couleurs autorisées sur nos façades, ont-ils rappelé à l'ordre les propriétaires, ou bien ceux-ci sont-il rentrés dans la norme par eux-même, obéissant à l'idée communément répandue que le vert sur nos murs est défavorable au bien être domestique?

Dans l'autre hémisphère ce serait visiblement plutôt le contraire, les maisons  sont vertes à l'extérieur, mais aussi à l'intérieur:


                   

Les commerces sont souvent également verts:



Les transports aussi:





Les vertus de cette teinte énergique sont sans doute invoquées ici pour redonner jeunesse et vitalité à de vénérables véhicules.

Pourvu qu'à force de prendre du vert plein les yeux cela influe aussi sur nos métabolismes...

















samedi 1 décembre 2012

Si tu vas à Bali, n'oublie pas de monter à Keliki


Près d'Ubud, la spécialité du petit village de Keliki est la peinture de miniatures représentant la vie quotidienne, les rituels et cérémonies ou les figures de divinités hindous. 

 



Certains peintres de Keliki accueillent au coeur de leur "balé" (ensemble d'habitations familial) des visiteurs qui souhaitent connaître la vie quotidienne des balinais de Keliki. Après une semaine passée à découvrir les merveilles de Bali en dormant dans des hôtels plus traditionnels, nous avons posé nos bagages chez Dolit et son frère Denik et c'est là que nous avons pu apprécier l'infinie gentillesse des balinais dont j'avais entendu parler, sans encore la ressentir tout à fait. Peut être cela n'était-il du qu'à la belle qualité humaine des familles qui nous ont accueillis, ou peut être Keliki est-il une enclave d'authenticité à Bali où les rapport avec les étrangers sont altérés par le tourisme de masse? Toujours est-il que nous avons passé 5 jours parmi eux, dormant dans des chambres dont le confort était digne des précédents hôtels où nous étions passés, mais où l'environnement et la chaleur de l'accueil nous laissait rêver que nous étions des amis de passage.


Leur site internet est en français (voyez plutôt , à lire, c'est très bien fait) car l'organisation de cet accueil est orchestrée par Yves, un français amoureux de Bali, et certains peintres, comme Dolit, parlent même la langue de Molière. Depuis Keliki, des excursions sont organisées pour découvrir les environs d'Ubud. Il est possible aussi de louer un scooter et de se promener librement  comme nous l'avons fait. Un soir, Dolit nous a emmené voir un spectacle de danse Kecak, pièce traditionnelle dansée spectaculaire dont le final montre un homme dansant sur le feu.



Pendant notre séjour, nous avons passés quatre matinées attablés sous l'abri au milieu de la cour, en suivant les instructions de Denik pour réaliser deux petites peintures. Notre travail était guidé pas à pas, chaque ligne de dessin, chaque application de couleur répondait aux indications proférés d'une voix douce par Denik. 



Dès le départ, j'ai eu envie de réaliser un travail plus personnel. Face à ma requête, je sentais poindre l'hésitation derrière un acquiescement souriant très indonésien. En écoutant ensuite Ketut, sa belle soeur également peintre à ses heures, j'ai compris ce que ma demande avait de déplacé:  avant de réaliser seule une peinture du premier trait de crayon au dernier coup de pinceau, et en choisissant le sujet, elle avait prix des cours  avec son mari pendant deux ans! J'ai donc ravalé mes ardeurs créatives pour me soumettre sagement au patient processus de création imposé par l'école de Keliki. Une fois revenue chez nous, j'ai pu appliquer la technique apprise à Bali à un sujet choisi parmi mes photos, et j'essaie depuis d'entretenir ce précieux savoir ramené de l'île des Dieux.


Alors, si vos pas vous mènent jusqu'à Bali, arrêtez-vous à Keliki, que vous aimiez ou pas le dessin, car si vous voyagez dans le dessein de vous imprégner d'autres cultures et de faire de belles rencontres, vous devriez être comblés.






jeudi 1 novembre 2012

Semar



Parmi les personnages du Wayang, le théâtre javanais, Semar est emblématique. Le Wayang raconte les histoires du Mahâbhârata et du Râmâyana, mais le personnage de Semar n'appartient qu'aux versions javanaises et balinaise. Certains disent qu'il serait un vestige des croyances antérieures à l'hindouisme, introduit à Java autour du Vème siècle.
La silhouette de Semar est facilement reconnaissable avec son gros ventre et sa poitrine proéminente, un fessier généreux, une houppette sur la tête et des dents en avant. Ce physique disgracieux est habitée par une belle âme dont les qualités sont vénérées par les javanais. Il joue le rôle du clown mais surtout de conseiller, protecteur du petit peuple, les princes se réfèrent à sa sagesse légendaire.


Dans mes bagages, j'avais emporté ce livre:


J'attendais d'être immergée dans le contexte pour me plonger dans la lecture de ce livre bilingue, espérant améliorer ma connaissance de la langue et de la culture javanaise. Finalement, je m'en suis surtout tenue à la lecture des pages de droite... mais c'est un livre à lire et à relire, peut être un jour pourrais-je me contenter des pages de gauche en indonésien?

De ces pages, j'ai appris le mot "sosok" qui signifie "silhouette", notamment dans ce passage qui vous donnera une idée plus précise du style fantastique et poétique qui fait toute la saveur de ce conte philosophique:

"La nuit se fond dans la fraîcheur des perles de rosée, les poules caquètent doucement. Elle se délave de bleu et se tache de rouge. Dans cet océan de nuit bleutée nagent des poissons en forme de fleur de lotus. De cette silhouette surgit une lame en forme de tige de lotus. L'atmosphère se charge de louanges merveilleuses. Les abeilles bourdonnent, les oiseaux gazouillent, les poissons frétillent, les fleurs ouvrent leurs calices. Sang Hyang Ismayajati (autre nom de Semar, ndlr) apparaît dans tout son être: c'était son âme, la lame-lige-de-lotus. Son corps était resté sur terre, sous l'aspect des Semar de chimère."

Comme les gens du clan des Kurawa dans cette histoire, j'étais à la recherche de Semar, mais il est présenté ici dans toute sa complexité, silhouette  insaisissable et multiple, inattendue, surnaturelle. 

Tenter de résumer ou de synthétiser cette revisite contemporaine du mythe de Semar relève pour moi de l'impossible. Ce conte raconte d'ailleurs les vaines tentatives de chacun pour s'accaparer la puissance bénéfique de Semar, qui chaque fois disparaît, ou se démultiplie en faux-semblants. Je crains d'être frappée de la même malédiction si j'essayais de tracer ici d'un trait ferme et précis les contours de ce personnage.

La lecture de ce livre est un voyage tourné vers la contemplation de la nature célébrant la généreuse beauté de la terre d'origine à laquelle Semar est intimement lié. 


S'il fallait choisir un décors idéal pour entamer ce voyage, ce serait sur les pentes du Mont Ungaran non loin de Semarang, où s'élève un temple très ancien, le Candi Gedong Songo, il y règne une athmosphère mystique de toute éternité.







dimanche 30 septembre 2012

Wayang kulit

C'était la première fois avant hier que j'ai eu la chance d'assister à un spectacle de théâtre d'ombre javanais, trouvé un peu par hasard: en passant le long de l'alun-alun dans l'après-midi nous avons vu qu'une très grande tente y avait été montée, abritant un grand écran face à des centaines de chaises bien alignées, des gamelans (percussions indonésiennes) attendaient de résonner dans la nuit noire.



 La place fourmillait d'une animation plus dense encore ce soir là, aux habituels loueurs de rollers et de trottinettes, vendeurs de brochettes, de crêpes, de jouets, s'étaient ajoutés de petits warungs (boutiques, restaurants) éphémères, des vendeurs d'instruments de musique, de livres sur la culture javanaise et de marionnettes au profil alambiqué, répliques de celles qui se préparaient à danser devant l'écran.




Le spectacle a commencé par des chants classiques accompagnés par les gamelans, les voix félines d'un choeur de femmes, strictement apprêtées selon des codes immuables. 



Voici un exemple, proche de ce qui s'est joué ce soir là:




L'une des chanteuses vraisemblablement d'origine européenne se fondait bien à l'ensemble.


Au premier rang, les notables de la ville également vêtus de costumes traditionnels discutaient entre eux. Dans les rangs suivants, la concentration des spectateurs était tout aussi relâchée: on va et on vient, on papote, on baille. Si la partition leur en laisse le temps (si tant est qu'il y en ait réellement une...) les musiciens aussi bavardent et regardent autour d'eux. C'est un mélange de solennité imposée par le décorum, et de détachement absolu animant tous les participants.



Fait étonnant, le spectacle de théâtre d'ombre était ensuite montré à l'envers. Le dalang (le maître des marionnettes)  était du même côté de l'écran que les spectateurs, aussi, pour ne voir que l'ombre des marionnettes se découper sur le drap tendu, nous sommes allés de l'autre côté où quelques spectateurs commençaient à se rassembler.



        

La pièce raconte des épisodes du Mahâbhârata, intégré depuis des siècles à la culture javanaise. Je n'en compris pas un traître mot mais me laissais bercer par la musique de la langue déclamée par le dalang. Je commence à comprendre un peu d'indonésien, mais c'est en javanais que la pièce est dite, à un niveau de langue différent de celui que l'on parle au quotidien.



En mouvement, cela donnait quelque chose comme ça:



Tout autour sur la place, l'animation se maintenait, cumulant à la puissante sono du spectacle, les mélodies lancinantes des marchands de glace et des manèges, et les bruits de circulation de l'avenue voisine. Mon petit garçon se bouchait les oreilles, on a donc laissé continuer sans nous jusque très tard dans la nuit le spectacle de wayang kulit.