vendredi 16 mai 2014

Les palais d'Orient


Je mènerai mon enfant
Partout où je n'ai pas été
Avec lui sur du marbre blanc
Dans des palais d'Orient
Je rirai aux gens de couleur.

Et aussi sous le soleil clair
Qui éclaire toute la terre
Pour ceux qui n'ont jamais pu faire
Tout ce que j'ai fait

Pour ceux qui n'ont pas vu
Tout ce que j'ai vu.

Paul Eluard



Longtemps Java fut partagée en plusieurs royaumes; aux raja hindouistes et rois bouddhistes succédèrent les sultans musulmans, et quand progressivement les hollandais imposèrent leur suprématie dans la région, ils les laissèrent en place tout en les soumettant, les instrumentalisant  dans la politique coloniale,  en favorisant même la régence de nouveaux souverains, divisant ainsi pour mieux régner, si bien qu'il y avait parfois plusieurs sultans sur de petits territoires.



Aujourd'hui leurs descendants vivent toujours dans les demeures seigneuriales qu'on nommera palais pour forcer le trait "conte de fée" mais ce terme emphatique déçoit parfois ceux qui ont en tête les ors de Versailles ou les arabesques du Taj Mahal.

Certains d'entre eux se visitent, voici donc ceux que nous avons vu à Java:

Yogyakarta

Keraton vient du mot javanais "ratu" qui signifie  "roi" et désigne le royaume ou la résidence du souverain.

Celui de Yogyakarta est de loin de plus vivant. 
Le sultan de Yogyakarta est le seul à avoir conservé un rôle politique, il est le gouverneur de la Province de Yogyakarta qui porte le nom de "territoire spécial", un héritage politique récompensant le rôle du père de l'actuel sultan pendant la guerre d'indépendance.




Il n'est pas apparenté au capitaine Spoke, ces oreilles d'elfe sont des bijoux.


Le palais est une vaste enceinte clos de hauts murs où se succèdent différentes cours ombragées d'arbres majestueux, autour desquelles s'élèvent d'élégants  bâtiments: la résidence du Prince, ci dessus, évidemment privée, de vastes pendopos qui sont des bâtiments sans murs extérieurs, et des salles où sont exposés trésors, palanquins et carrosses princiers. 


 







L'enceinte du palais est un lieux de culture très vivant où se jouent quotidiennement  concerts de chant classique, danses ou spectacles de wayang.




wayang








Dans la galerie de portraits, on peut observer que les attitudes aristocratiques ont quelque chose d'universel.


Dans les cours, les nombreux gardes du sultans vont et viennent, balaient ou papotent, assis nonchalamment. Avec les artistes, ils sont les gardiens de l'âme du Palais et de la tradition, les sujets dévoués du Sultan, honorés de la charge qui leur est confiée, vivant en dehors de l'enceinte du palais dans ce qu'on appellerait chez nous "la vieille ville" qui appartient au Sultan, autour du Kraton. 



Les ruelles enchevêtrées de la vielle ville mènent aussi à Taman Sari, le Palais d'eau, autrefois lieu de méditation et de détente du Sultan, on dit qu'il jetait une fleur dans la piscine et que celle de ses femmes qui l'attrapait gagnait la chance de partager l’alcôve de leur royal mari.



Solo/Surakarta

La ville de Yogyakarta porte le diminutif de Jogja, le surnom de Surakarta est Solo. 
Sans expliquer clairement ce nom double, on peut imaginer que "Solo" se rapporte aux lieux eux-même puisque c'est le nom d'une rivière, et que Surakarta renvoie à Royaume ou bien qu'il est lié au déplacement de la ville, d'abord en 1745 après que les hollandais aient détruit Kota Gede près de Yogyakarta, le royaume de Mataram migra vers  l'est, et par la suite, d'après ce que m'ont dit les habitants du quartier de Laweyan, un incendie obligea une nouvelle fois le Palais à se délocaliser depuis ce quartier jusqu'à  son emplacement actuel.



Par chance, ce sultan là a l'envergure juste assez large pour exposer l'ampleur de ses mérites.


Des gardes de chair et d'os,  de bronze ou de bois, se tiennent impassibles devant les portes. 
Quoique le dernier ait l'air de nous inviter à une valse immobile.

Egalement constitué d'une succession de cours, le Kraton de Solo n'a pas la majesté de celui de Yogya mais conserve un charme indéniable, moins apprêté. 



Deux d'entres elles sont ouvertes aux visiteurs, la première rappelle la disposition d'un cloître, une longue galerie bordant le jardin intérieur donne sur de nombreuses salles d'exposition.




Tel le vestige d'un monument naturel, cette souche est honorée d'un petit pendopo.

Voici quelques uns des trésors des sultans de Solo:








Fresque 3D représentant la lutte contre l'occupant hollandais.









Si les sultans sont des souverains musulmans, les pratiques religieuses au sein de leur Palais, comme chez beaucoup de javanais, conservent le souvenir bien vivant des croyances hindouistes antérieures.

On trouve au milieu de la seconde cours intérieure quelques offrandes encore fumantes (ci-dessous à droite). 








 Ces dames veillent à ce que les visiteurs ne franchissent pas la ligne matérialisée par un fil tendu dans le sable de la cours, qui délimite l'espace privé de la famille du sultan.



Ce jour là, un orateur yéménite, véritable descendant du prophète d'après la rumeur, venait prêcher à Solo, aussi la vieille ville était-elle emplie de ses adeptes revêtus de leur vêtements les plus blancs, qui accentuaient l'ambiance "contes des milles et une nuits".



Cirebon

Le keraton Kasepuhan




Située à la limite des provinces de Java Ouest et Java Centre, Cirebon est ouverte sur la mer de Java. Cette côte qui s'étend sur la façade nord de l'île, le Pasisir, accueillit de tout temps les navigateurs indiens, chinois, arabes ou européens, et ce palais est particulièrement marqué par le passage des portugais.



Afin d'établir de bonnes relations avec le souverain, les navigateurs portugais offraient des faïences, où peut être s'agissait-il de monnaie d'échange, mais on peut voir sur les façades extérieures du palais des assiettes peintes fixées aux briques rouges, ainsi détournées en ornements architecturaux. Les murs extérieurs de la salle de réception sont aussi ornés de carreaux de faïences semblables aux "azuleros", ils illustrent la vie quotidienne de l'époque et les aléas des grandes navigations.




Dans les vitrines du musée, parmi les armes, les bijoux et les bois sculptés, derrière une vitrine poussiéreuse sont exposées les côtes de maille de navigateurs portugais. Comme elles sont suspendues à des cintres, cela leur donne du volume et un aspect fantomatique qui m'a troublé, ces objets donnent corps à l'exploit extraordinaire qu'étaient ces grandes navigations du XVIème siècle,  l'aventure absolue.


  

Peut être aussi que les faïences n'étaient pas des cadeaux mais des butins et ces côtes de maille des trophées de guerre?



Ces frontons en volutes renvoient au motif emblématique de Cirebon, le "Mega Mendung" qui représente les nuages dans un style chinois et qu'on retrouve sur le batik de Cirebon.

Les batiks, ces tissus imprimés pour beaucoup à la cire de façon traditionnelle, ont une histoire intimement liée à celle des sultans; jusqu'à 1930 le port du batik était réservé à l'aristocratie, il a ensuite été démocratisé, il est à présent un emblème de la culture indonésienne, porté par tous, c'est même une obligation pour certains fonctionnaires et écoliers un jour par semaine.


Ce sultan là semble moins sujet au culte de la personnalité imposé dans les deux précédents palais, même si l'on évoque sa présence avec déférence, pas de portrait en pied, il se fait plus discret. J'ai juste aperçu au travers des vitres dépolies à l'ancienne, son chat blanc angora, promené en laisse.



Le palais du sultan de Kasepuhan est également composé d'un grand parc agrémenté de bassins, où les gens du coin viennent pêcher, et les enfants jouer.





Près de la sortie, ce qui semble être la maison du gardien figure idéalement l'élégance et la simplicité de la maison javanaise.



Kraton Kanoman

Non loin du précédent palais, le Palais Kanoman renvoie un peu à celui de la belle au bois dormant.



Les premières cours sont désertes, sans doute autrefois se tenaient là des forums ou des marchés, à présent les activités commerciales du secteur sont concentrées dans le marché voisin, grouillant d'activité, contrastant avec le calme parfait qui règne entre les murs du Palais.






       


Les lourdes portes du musée ont été ouvertes juste pour les seuls visiteurs que nous étions, sur un carrosse tout droit sorti d'une fable "heroic fantasy" et d'autres antiquités.







Ici aussi, peu de portrait du sultan, simplement une grande photo de lui, parmi les tombes du mausolée de Sunan Gunung Jati, l'un des 9 saints de Java, les Wali Songo, qui introduisirent l'Islam à Java à partir du XIVème siècle. Les sultans de Java rattachent leur généalogie à certains de ces saints d'origine arabe, qui eux-même descendraient du Prophète Mohammed.


Le guide du Palais (ci dessous, moustachu) à la courtoisie digne d'un majordome, m'accompagna ensuite dans mes déambulations avec des commentaires dont je ne comprenais qu'un faible pourcentage. 


Il me fit passer la porte qui protégeait le secteur plus privé de la famille du sultan.


Quand je questionnais mon guide sur les activités professionnelles d'un sultan en démocratie, il leva les mains et les yeux vers le ciel dans un geste de prière (déduisant sans doute d'après mon sourire d'acquiescement benêt que certaines de ses paroles m'échappaient complètement, et qu'il valait mieux communiquer par geste). 

Effectivement d'après l'aspect de certaines dépendances, on conçoit que les préoccupations du souverain soient davantage tournées vers des questions spirituelles.


Le côté délaissé du palais est habité par une bande de singes irrespectueux du protocole, accentuant l'impression d'une dynastie finissante en un lieu où la forêt reprendrait ses droits.


Et un chat, même pas angora, défend sauvagement sa portée sur les marches du Palais. 


Finalement on ne s'embarrasse plus tellement du protocole chez les humains non plus au Kraton Kanoman, puisque j'ai été invitée sans autre forme de cérémonie à taper la discute avec Monsieur le frère du Sultan qui prenait le frais sous un arbre de la cours, à propos des charmes de la tour Eiffel et du batik de Cirebon, qui serait fabriqué à Pekalongan... Mais où va le monde?

Admirez le profil, attestant des origines arabes de la famille, et surtout le tee-shirt attestant plus sûrement de son sens de l'humour.

La maison de Danar Hadi

Revenons à Solo, visiter une belle demeure qui n'a rien d'aristocratique, mais dont la disposition rappelle celle des Palais, et le raffinement de la décoration celui des Kraton du temps de leur splendeur.





La maison de Danar Hadi est une prestigieuse entreprise qui fabrique du batik haut de gamme, elle est composée d'un immense atelier, d'une boutique, d'un musée et d'un fameux restaurant.








Malheureusement, la splendide collection du musée ne peut être prise en photo, comme la boutique, mais ceux qui souhaitent en voir iront lire ici:



Dans ce musée j'ai été frappée par la mise en scène de la famille Danar Hadi, les portraits immenses des différentes générations tapissent les murs au dessus des batiks, rappelant immanquablement les portrait royaux des Kratons de Yogya et Solo. 
En s'appuyant sur le batik, l'un des anciens attributs de la royauté, la famille Danar Hati donne l'air de se hisser au rang des aristocrates, sans légitimer son statut par une noble ascendance, mais en imposant son influence dans l'industrie du luxe indonésien.
"The house of Danar Hadi" est le reflet brillant d'une facette de cette culture raffinée.



dimanche 16 mars 2014

La forme de la lune



Voici la bande annonce de "Shape of the moon", de Leonard Retel Helmrich



Grâce à l'insatiable curiosité de l'investigatrice de JAVASOLO j'ai découvert ce documentaire hors du commun qui filme une tranche de vie d'une petite famille javanaise entre Jakarta et le "kampung" la campagne d'où vient et où retourne la grand-mère.

Le tout est filmé de façon très originale, la caméra rampe ou voltige comme un chat ou un moustique, le réalisateur sait se faire oublier. Succession d'excellentes séquences , comme celle de la pomme partagée entre voisines, quelqu'un qui marche sur un pont ferroviaire vertigineux ou les hommes d'un village qui déplacent toute une maison sur leurs épaules en chantant, ce film évoque de manière très réaliste le quotidien du petit peuple de Java qui constitue la grande majorité.


Je vous invite à le regarder en entier depuis le Tumblr JAVASOLO.

samedi 15 mars 2014

Dieng



En lisant sur le net et sur les guides, on constate que le plateau de Dieng est une destination très prisée par les étrangers, on y loue  ses paysages sublimes, et comme nous n'étions plus à un détour près, j'ai eu envie d'aller voir.

On lit aussi que "Le nom "Dieng" vient de "Di Hyang" signifiant "demeure des dieux" et aurait été le site d'une ville temple florissante", et également  qu'en javanais "dieng" est dérivé du mot "edi" qui signifie "belle" et "aeng", "étrange".




Notre brève expérience me ferait plutôt pencher pour la seconde interprétation du nom, bien que la première soit parfaitement justifiée par son histoire, les vestiges des plus vieux temples de Java y sont encore debout.

Certains, comme ceux-ci, relatent dans leur carnets de voyage une expérience esthétique époustouflante, mais en ce qui me concerne, peut être était-ce le temps, l'humeur, ou l'un brouillant l'autre, j'ai été plutôt impressionnée voire effrayée.




Pour atteindre le plateau de Dieng depuis Wonosobo, il faut suivre une route qui monte, qui rétrécit et qui monte, puis qui tourne en lacets sur des corniches, tout en montant toujours. Le vieux combi japonais hoquette dans la pente. Sujette au vertige, après avoir jeté un bref coup d’œil à la splendide vue dégagée sur les montagnes, les orteils contractés dans les tongs en pensant à tous les glissements de terrains qui jalonnent (ou qui sectionnent?) les routes de Java en cette saison très pluvieuse, j'ai plutôt observé la campagne en amont de la route en priant. 



Ce qui m'a frappé surtout ce sont ces cultures, partout, sur les plats, dans les creux, sur les bosses, jusqu'au sommet des montagnes pelées. Des plantes bien alignées, des pentes en escaliers, la terre découpée en tranches comme un gros gâteau qu'on ne cesserait jamais de cuisiner, modèlent un paysage étrange clairsemé de petits arbres fluets.




Et parmi les champs quelques villages à peine plus gais que les corons parmi les terrils.







Puis la route redescend sur le village de Dieng, où de simples tôles grises couvrent les maisons, luisant faiblement sous une pluie fine et froide. Nous posons nos bagages dans une petite maison d'hôte près du temple. L’accueil est poli, nous sommes les seuls clients, la maison est à nous et nos hôtes disparaîtront jusqu'au lendemain. La nuit tombe précédée d'une brume épaisse et il fait froid.  Un groupe de femmes tenant des cornets de papier journaux (des marrons chauds?) passent et me regardent en riant, quand je m'apprête à leur demander ce qu'elle tiennent, elles me réclament de l'argent. 

C'est bien la première fois que j'ai froid ici à Java, le carrelage glace la plante des pieds, on enfile des bonnets et on rigole de l'incongruité de l'accessoire, Ismaël court partout dans la maison vide, puis couverts de tous nos vêtement les plus chauds nous nous endormons blottis sous 2 couvertures. 
A l'aube je me réveille, Ismaël commence à être malade et je n'ai plus tellement envie de m'attarder dans cette cuvette grise, humide et froide. 

Mais avant je vais jeter un œil au site archéologique, un ensemble de temples des VIIème et VIIIème siècles, caractéristiques de l'hindouisme à la javanaise, certains honorant des divinités propres au panthéon javanais, comme Semar, ou Gatotkaca. 

Impossible de trouver un guichet ouvert, mais l'accès est simple et un vendeur de souvenirs ouvrant sa boutique m'encourage à rentrer et à payer mon ticket plus tard.

Un moment tentée d'approcher une oreille près d'un groupe qui me précède pour s'informer des secrets des dieux, je préfère m'imprégner seule de l'atmosphère des lieux, tandis que mes hommes sont restés au chaud.



Mon ignorance en matière d'architecture hindouiste ne me permet pas de discerner clairement les particularités de cet ensemble qu'on dit exceptionnel, mais en contemplant simplement l'épaisse brume matinale dévoilant lentement les monts environnants on comprend que ces lieux aient été choisis  pour leur forte charge mystique.



           



Tout autour dans les champs les paysans pulvérisent de l'insecticide.  L'un d'eux s'approche de moi, il m'observe en grimaçant un sourire édenté sur un visage buriné entouré d'un gros bonnet, il a adopté la tactique de l'oignon pour lutter contre le froid en empilant les couches, il porte de lourdes bottes de caoutchouc. 
Un peu déstabilisée par son silence souriant, je tente un début de conversation dans mon petit indonésien, quelque chose comme "c'est joli ici, mais tiens, qu'est-ce que c'est que ces fumées là-bas, est-ce que c'est un cratère?" (mon pauvre vocabulaire me faisant utiliser d'étranges circonvolutions de langage, je dois m'y reprendre plusieurs fois en appuyant mon charabia de gestes désordonnés).



 Ce à quoi le vieil homme me répond... je ne sais pas trop quoi dans un mélange d'indonésien et de javanais du coin auquel je ne pipe rien. Mais après avoir gesticulé dans un sens et gratté le fond de ma mémoire pour y trouver les bons termes, il gesticule dans l'autre sens en répétant mes mots, et je comprends que le cratère est de l'autre côté. Reprenant ma visite, le vieux monsieur m'accompagne  la tête un peu penchée et le visage toujours fendu de son étrange sourire, il m'invite à suivre la seule allée pavée où justement je m'engageais, voie d'accès à un autre temple, légèrement en hauteur depuis lequel la vue sur le plateau se révélait enfin sous un jour plus radieux.




Là le paysan s’assoit, toujours en m'observant très attentivement tandis que j'examine le temple en m'interrogeant sur les motivations du vieil homme: est-ce une simple curiosité ou tente-t-il de tenir le rôle du guide dans l'attente d'une rétribution? Au deuxième tour de temple, je n'obtiens pas de réponse claire et conclue que lui proposer de l'argent salirait les intentions d'un rapport humain motivé par la curiosité et la courtoisie, sinon nourrirait une mendicité déguisée. 


En redescendant l'allée bordée d'opulentes daturas, j'ai la tête basse et le cœur lourd en pensant à la condition des paysans du plateau. 

La guérite de l'entrée cette fois est occupée par un homme à qui je paie mon droit d'entrée, à la sortie. 
Il s'appelle Aa (ça n'est pas une faute de frappe, ça veut dire "grand frère" à Java Ouest), parle anglais, pose beaucoup de questions et donne beaucoup de réponses, comme il est membre d'un club de radio amateur, il est capable de m'informer sur l'état des routes de l'itinéraire que nous prévoyons en consultant de lointains collègues avec son talkie-walkie. 
Un peu plus tard, apprenant que nous sommes intéressés par le batik,   il quitte son poste sans hésiter, monte avec nous et nous emmène à 2h de route de là jusqu'à une petite coopérative de batik perdue dans les rizières. 
Sur la route il nous expliquera que la culture maraîchère du plateau de Dieng produit des centaines de tonnes de patates chaque jour pour Singapour, que les papayes cultivées ici sont issues d'une espèce hybride mexicaine et que les arbres ayant tous été coupés pour laisser place aux cultures, les glissements de terrain sont fréquents.

Entre temps, et avant de quitter l'antique "demeure des dieux" ou vivent à présent des damnés de la terre, esclaves d'une agriculture intensive qui défigure l'Eden javanais, notre petite famille roule doucement vers le cratère fumant derrière la colline.

Les entrées des sites/villes/quartier en Indonésie sont matérialisées par un grand portique ou deux hautes colonnes de chaque côté de la route, ceci n'est sans doute pas fait pour, mais finalement ça le fait bien. Peut être que le gaz émanant du cratère est utilisé autre part?

En plus d'avoir le vertige je ne supporte pas l'odeur d’œufs pourris, visiblement ces défauts sont de vrais handicap pour apprécier pleinement le plateau de Dieng, je ne peux m'approcher davantage du cratère d'où émanent des vapeurs souffrées, cette photo est zoomée.

Une guide indonésienne qui passait par là suivie de son groupe, débitant son laïus dans un haut parleur, nous apprend que le cratère se déplace, et en effet, on voit bien qu'il laisse des traces de son passage, jusqu'aux fumerolles qu'on voit à gauche.

La visite du plateau me renvoie à celle que je ne veux pas faire: le kawah Ijen (le cratère jaune), un volcan de Java Est particulièrement médiatisé en France, un site impressionnant où les travailleurs du souffre descendent en savate pour récolter dans la fumée nauséabonde d'énormes plaques de souffre qu'ils remontent par paquets de 50kg au moins, se déformant le dos, se brûlant les poumons, tout ça pour une poignée de rupiah. 
Beaucoup de touristes vont visiter ce bagne et font de belles photos. Certes ils rendent un hommage respectueux à ces forçats, ils sèment sur leur sillage une manne inespérée pour certains d'entre eux, mais moi je ne peux pas. 
Je ressens une forme d'indécence à faire irruption dans ce monde si lointain, bien nourris, bien chaussés, à s'extasier sur les stigmates de la misère en admirant le courage de ceux qui n'ont pas d'autre choix que de vivre l'enfer et qui gardent un sourire à offrir aux photos, à goûter un moment aux sensations fortes qu'offre le cratère pour reprendre aussitôt le cours de son pittoresque voyage entre les plages et les temples. 
C'est mon sentiment, peut être ai-je tort et il est bien possible que les travailleurs du souffre ou de la patate de Dieng voient ça différemment.

J'aurais du sans doute offrir un petit billet au vieux Monsieur du temple plutôt qu'un salut amical...