dimanche 16 mars 2014

La forme de la lune



Voici la bande annonce de "Shape of the moon", de Leonard Retel Helmrich



Grâce à l'insatiable curiosité de l'investigatrice de JAVASOLO j'ai découvert ce documentaire hors du commun qui filme une tranche de vie d'une petite famille javanaise entre Jakarta et le "kampung" la campagne d'où vient et où retourne la grand-mère.

Le tout est filmé de façon très originale, la caméra rampe ou voltige comme un chat ou un moustique, le réalisateur sait se faire oublier. Succession d'excellentes séquences , comme celle de la pomme partagée entre voisines, quelqu'un qui marche sur un pont ferroviaire vertigineux ou les hommes d'un village qui déplacent toute une maison sur leurs épaules en chantant, ce film évoque de manière très réaliste le quotidien du petit peuple de Java qui constitue la grande majorité.


Je vous invite à le regarder en entier depuis le Tumblr JAVASOLO.

samedi 15 mars 2014

Dieng



En lisant sur le net et sur les guides, on constate que le plateau de Dieng est une destination très prisée par les étrangers, on y loue  ses paysages sublimes, et comme nous n'étions plus à un détour près, j'ai eu envie d'aller voir.

On lit aussi que "Le nom "Dieng" vient de "Di Hyang" signifiant "demeure des dieux" et aurait été le site d'une ville temple florissante", et également  qu'en javanais "dieng" est dérivé du mot "edi" qui signifie "belle" et "aeng", "étrange".




Notre brève expérience me ferait plutôt pencher pour la seconde interprétation du nom, bien que la première soit parfaitement justifiée par son histoire, les vestiges des plus vieux temples de Java y sont encore debout.

Certains, comme ceux-ci, relatent dans leur carnets de voyage une expérience esthétique époustouflante, mais en ce qui me concerne, peut être était-ce le temps, l'humeur, ou l'un brouillant l'autre, j'ai été plutôt impressionnée voire effrayée.




Pour atteindre le plateau de Dieng depuis Wonosobo, il faut suivre une route qui monte, qui rétrécit et qui monte, puis qui tourne en lacets sur des corniches, tout en montant toujours. Le vieux combi japonais hoquette dans la pente. Sujette au vertige, après avoir jeté un bref coup d’œil à la splendide vue dégagée sur les montagnes, les orteils contractés dans les tongs en pensant à tous les glissements de terrains qui jalonnent (ou qui sectionnent?) les routes de Java en cette saison très pluvieuse, j'ai plutôt observé la campagne en amont de la route en priant. 



Ce qui m'a frappé surtout ce sont ces cultures, partout, sur les plats, dans les creux, sur les bosses, jusqu'au sommet des montagnes pelées. Des plantes bien alignées, des pentes en escaliers, la terre découpée en tranches comme un gros gâteau qu'on ne cesserait jamais de cuisiner, modèlent un paysage étrange clairsemé de petits arbres fluets.




Et parmi les champs quelques villages à peine plus gais que les corons parmi les terrils.







Puis la route redescend sur le village de Dieng, où de simples tôles grises couvrent les maisons, luisant faiblement sous une pluie fine et froide. Nous posons nos bagages dans une petite maison d'hôte près du temple. L’accueil est poli, nous sommes les seuls clients, la maison est à nous et nos hôtes disparaîtront jusqu'au lendemain. La nuit tombe précédée d'une brume épaisse et il fait froid.  Un groupe de femmes tenant des cornets de papier journaux (des marrons chauds?) passent et me regardent en riant, quand je m'apprête à leur demander ce qu'elle tiennent, elles me réclament de l'argent. 

C'est bien la première fois que j'ai froid ici à Java, le carrelage glace la plante des pieds, on enfile des bonnets et on rigole de l'incongruité de l'accessoire, Ismaël court partout dans la maison vide, puis couverts de tous nos vêtement les plus chauds nous nous endormons blottis sous 2 couvertures. 
A l'aube je me réveille, Ismaël commence à être malade et je n'ai plus tellement envie de m'attarder dans cette cuvette grise, humide et froide. 

Mais avant je vais jeter un œil au site archéologique, un ensemble de temples des VIIème et VIIIème siècles, caractéristiques de l'hindouisme à la javanaise, certains honorant des divinités propres au panthéon javanais, comme Semar, ou Gatotkaca. 

Impossible de trouver un guichet ouvert, mais l'accès est simple et un vendeur de souvenirs ouvrant sa boutique m'encourage à rentrer et à payer mon ticket plus tard.

Un moment tentée d'approcher une oreille près d'un groupe qui me précède pour s'informer des secrets des dieux, je préfère m'imprégner seule de l'atmosphère des lieux, tandis que mes hommes sont restés au chaud.



Mon ignorance en matière d'architecture hindouiste ne me permet pas de discerner clairement les particularités de cet ensemble qu'on dit exceptionnel, mais en contemplant simplement l'épaisse brume matinale dévoilant lentement les monts environnants on comprend que ces lieux aient été choisis  pour leur forte charge mystique.



           



Tout autour dans les champs les paysans pulvérisent de l'insecticide.  L'un d'eux s'approche de moi, il m'observe en grimaçant un sourire édenté sur un visage buriné entouré d'un gros bonnet, il a adopté la tactique de l'oignon pour lutter contre le froid en empilant les couches, il porte de lourdes bottes de caoutchouc. 
Un peu déstabilisée par son silence souriant, je tente un début de conversation dans mon petit indonésien, quelque chose comme "c'est joli ici, mais tiens, qu'est-ce que c'est que ces fumées là-bas, est-ce que c'est un cratère?" (mon pauvre vocabulaire me faisant utiliser d'étranges circonvolutions de langage, je dois m'y reprendre plusieurs fois en appuyant mon charabia de gestes désordonnés).



 Ce à quoi le vieil homme me répond... je ne sais pas trop quoi dans un mélange d'indonésien et de javanais du coin auquel je ne pipe rien. Mais après avoir gesticulé dans un sens et gratté le fond de ma mémoire pour y trouver les bons termes, il gesticule dans l'autre sens en répétant mes mots, et je comprends que le cratère est de l'autre côté. Reprenant ma visite, le vieux monsieur m'accompagne  la tête un peu penchée et le visage toujours fendu de son étrange sourire, il m'invite à suivre la seule allée pavée où justement je m'engageais, voie d'accès à un autre temple, légèrement en hauteur depuis lequel la vue sur le plateau se révélait enfin sous un jour plus radieux.




Là le paysan s’assoit, toujours en m'observant très attentivement tandis que j'examine le temple en m'interrogeant sur les motivations du vieil homme: est-ce une simple curiosité ou tente-t-il de tenir le rôle du guide dans l'attente d'une rétribution? Au deuxième tour de temple, je n'obtiens pas de réponse claire et conclue que lui proposer de l'argent salirait les intentions d'un rapport humain motivé par la curiosité et la courtoisie, sinon nourrirait une mendicité déguisée. 


En redescendant l'allée bordée d'opulentes daturas, j'ai la tête basse et le cœur lourd en pensant à la condition des paysans du plateau. 

La guérite de l'entrée cette fois est occupée par un homme à qui je paie mon droit d'entrée, à la sortie. 
Il s'appelle Aa (ça n'est pas une faute de frappe, ça veut dire "grand frère" à Java Ouest), parle anglais, pose beaucoup de questions et donne beaucoup de réponses, comme il est membre d'un club de radio amateur, il est capable de m'informer sur l'état des routes de l'itinéraire que nous prévoyons en consultant de lointains collègues avec son talkie-walkie. 
Un peu plus tard, apprenant que nous sommes intéressés par le batik,   il quitte son poste sans hésiter, monte avec nous et nous emmène à 2h de route de là jusqu'à une petite coopérative de batik perdue dans les rizières. 
Sur la route il nous expliquera que la culture maraîchère du plateau de Dieng produit des centaines de tonnes de patates chaque jour pour Singapour, que les papayes cultivées ici sont issues d'une espèce hybride mexicaine et que les arbres ayant tous été coupés pour laisser place aux cultures, les glissements de terrain sont fréquents.

Entre temps, et avant de quitter l'antique "demeure des dieux" ou vivent à présent des damnés de la terre, esclaves d'une agriculture intensive qui défigure l'Eden javanais, notre petite famille roule doucement vers le cratère fumant derrière la colline.

Les entrées des sites/villes/quartier en Indonésie sont matérialisées par un grand portique ou deux hautes colonnes de chaque côté de la route, ceci n'est sans doute pas fait pour, mais finalement ça le fait bien. Peut être que le gaz émanant du cratère est utilisé autre part?

En plus d'avoir le vertige je ne supporte pas l'odeur d’œufs pourris, visiblement ces défauts sont de vrais handicap pour apprécier pleinement le plateau de Dieng, je ne peux m'approcher davantage du cratère d'où émanent des vapeurs souffrées, cette photo est zoomée.

Une guide indonésienne qui passait par là suivie de son groupe, débitant son laïus dans un haut parleur, nous apprend que le cratère se déplace, et en effet, on voit bien qu'il laisse des traces de son passage, jusqu'aux fumerolles qu'on voit à gauche.

La visite du plateau me renvoie à celle que je ne veux pas faire: le kawah Ijen (le cratère jaune), un volcan de Java Est particulièrement médiatisé en France, un site impressionnant où les travailleurs du souffre descendent en savate pour récolter dans la fumée nauséabonde d'énormes plaques de souffre qu'ils remontent par paquets de 50kg au moins, se déformant le dos, se brûlant les poumons, tout ça pour une poignée de rupiah. 
Beaucoup de touristes vont visiter ce bagne et font de belles photos. Certes ils rendent un hommage respectueux à ces forçats, ils sèment sur leur sillage une manne inespérée pour certains d'entre eux, mais moi je ne peux pas. 
Je ressens une forme d'indécence à faire irruption dans ce monde si lointain, bien nourris, bien chaussés, à s'extasier sur les stigmates de la misère en admirant le courage de ceux qui n'ont pas d'autre choix que de vivre l'enfer et qui gardent un sourire à offrir aux photos, à goûter un moment aux sensations fortes qu'offre le cratère pour reprendre aussitôt le cours de son pittoresque voyage entre les plages et les temples. 
C'est mon sentiment, peut être ai-je tort et il est bien possible que les travailleurs du souffre ou de la patate de Dieng voient ça différemment.

J'aurais du sans doute offrir un petit billet au vieux Monsieur du temple plutôt qu'un salut amical...





vendredi 7 mars 2014

Baturraden


Le mois de janvier a été marqué par les inondations qui ont touché  le nord de Java. Nous étions à Jakarta alors que certains quartiers étaient noyés sous plus de 2m d'eau, nous avions par chance les pieds au sec et avons pu regagner Cirebon ensuite, sur la côte nord. Seulement, la Pantura, la route qui longe la côte nord, étant inondée vers Pekalongan et Semarang, la circulation est devenue vraiment problématique. Compte tenu de nos piètres performances de temps de trajet avec conditions météo optimales, et celles de notre vieux combi japonais,  on a attendu la décrue, mais au bout d'une semaine, quand les eaux se sont retirées sur une chaussée bien abîmée où les bouchons s'amoncelaient, nous avons de nouveau fait le choix de l'itinéraire bis pour rentrer chez nous à Jepara, un grand détour par le sud sinuant entre les monts et les volcans.




La première étape fut Batur Raden, située sur les pentes du  plus haut volcan de Java (3428m)le Mont Slamet: une immense bouffée de fraîcheur chlorophyllée après avoir macéré dans la pollution et le bruit des grandes villes. Sur ces hauteurs l'air est plus frais, la nature luxuriante.


Batur Raden est mentionné comme une simple étape dans les voyages organisés qui font traverser Java aux visiteurs français, mais semble une destination prisée par les Indonésiens car beaucoup d'hôtels bordent la route montant vers le volcan. Nous avons choisi l'un d'eux, bien nommé, pour y passer deux nuits, le Nirwana


Construit il y a sans doute plus de trente ans, dans un style traditionnel, il propose des chambres très confortables au charme un peu défraîchi mais l'ensemble est entretenu avec beaucoup soin.


Dans cet hôtel comme dans le grand parc voisin, c'est cette impression de nature choyée qui m'a charmée et rassurée, dans un pays où bien souvent on néglige la gestion des déchets et la mise en valeur de l'environnement végétal, qui est pourtant un trésors incomparable.


"Batur Raden" signifie "le serviteur du prince", je ne sais pas bien pourquoi mais on peu imaginer que celui-ci était jardinier tant la nature là-bas est honorée.


A quelques pas de l’hôtel, une partie d'un grand vallon a été aménagée en un parc de loisir tracé de chemins sinuant entre les arbres, les fleurs et les vendeurs de saté (brochettes de poulet sauce cacahuète) et par dessus la rivière, agrémenté d'un lac avec des pédalos, de sources chaudes, d'une tyrolienne, de piscines et de toboggans.




Les collections de fougères arborescentes m'ont émerveillée, le côté kitsh des aménagements plutôt amusée et l'entretien irréprochable de cet immense jardin m'a comblé, car sorti des luxueux sentiers balisés par le tourisme haut de gamme, les rivières, les parcs, les zoos et lieux publics que j'ai pu voir en Indonésie sont invariablement jonchés de plastiques et de papiers gras. 


Ce parc apparaît comme une enclave de nature domptée dans la coulée de végétation foisonnante descendant les pentes du volcan.









Bordant un petit cimetière, ce vénérable banian s'impose comme un incontournable monument végétal.


Finalement un énorme orage et une pluie diluvienne nous ont retenus sous un abri où on a mangé du saté, plutôt que de suivre le sentier qui s'enfonçait dans la forêt jusqu'aux sept sources qui jaillissent des flancs du volcan. 

Mais vous pourrez voir les lieux sur ce film de  Mr Tukul et sa copine voyante, qui y ont mené une enquête télévisée en septembre dernier pour savoir quels être invisibles peuplaient ces lieux, j'ai pas tout compris mais je crois qu'elle  y voit un dragon avec un couteau dans la bouche. On l'a échappé belle.







vendredi 28 février 2014

Rambutan


 Souvent ici, il arrive que la vie exauce de menus vœux du quotidien, à peine formulés au fin fond de mon fort intérieur.


 Hier, en traversant le quartier à pied pour aller faire une course, je levais les yeux vers de hauts arbres chargés de magnifiques fruits rouges  qu'on appelle "rambutan"= "poilus". La saison bat son plein, et cela faisait quelque jours que j'avais interrompu la cure de rambutan à laquelle je me soumets avec délice ces temps-ci. 
Sachant qu'il n'y avait aucune chance de rencontrer un vendeur de fruit sur la route, j'ai remisé mon envie par devers moi, et continué mon chemin nez au vent.
Au retour l'heureux hasard de mon itinéraire nous a fait rencontrer un homme qui récoltait ces fruits à l'aide d'une grande perche. Il m'avait déjà offert d'autres fruits dont j'ai oublié le nom il y a quelques mois déjà, et il eut l'excellente idée de renouveler ce beau geste. Après une petite causette avec sa famille, je suis repartie avec un sac plein de ces fruits délicieusement juteux, le cœur plein d'une gratitude émue envers ces gentils voisins et l'Indonésie toute entière.



Ouvrir l'épaisse peau caoutchouteuse hérissée de ces petits pics mous caractéristiques, découvrir une chair blanche un peu translucide attachée autour du noyau, engloutir tout le contenu de la cosse qui a juste la taille d'une bouchée, grimacer pour détacher la chair sucrée et l'avaler, recracher le noyau, balancer les cosses étoilées au loin... un plaisir sans faim.

   
 
                                     

En plus d'être savoureux le ramboutan est beau, il illumine les jours ternes et pluvieux, les abondantes grappes rouges suspendues dans les cîmes rappellent la manne qu'est la saison humide et les nuances de son mûrissement éclatent quand le soleil revient.








jeudi 27 février 2014

"Hey! Mystère!"

Enfin, c'est plutôt "Hey Mister!" qu'on entend à chaque coin de rue à Java quand on est blanchette  (ou blanchot, rien de change, c'est "mister" pour tout le monde). Ou "bulé" = albinos au sens propre, et pâle occidental, par extension, ou encore "Londo" = hollandais.

Les voyageurs de passage apprécieront (ou pas) d'être interpellés joyeusement, et traités comme des êtres à part.  Au temple de Borobodur, par exemple les visages pâles sont l'attraction des visiteurs locaux, à chaque étage de la pyramide on leur demande de poser pour une photo au milieu d'une bande de copains, ou au bras d'un inconnu. Pour le blanchot de passage, cela renforce peut être un peu l'ego, on se sent comme une star de la télé qui sort en ville, ou comme un aventurier du XVIIIème touchant de lointaines contrées où nul occidental jusque lors n'avait encore mit les pieds (Pourtant depuis Marco Polo, pas mal d'entre nous ont fait le voyage, en 2013, 8,8 millions d'étrangers ont visité l'Indonésie) . Pour l'indonésien, je ne sais pas bien, (y-a-t-il un tumbler avec toutes les photos de bulé? Est-ce une curiosité exotique qu'il faut garder en souvenir ?) et même si j'ai quelques pistes pour interpréter ce curieux phénomène, la fascination du blanc reste pour moi  une sorte de mystère.

Certes, le contraste attirant l’œil, vu de l'extérieur un blanc en Indonésie ça donne quelque chose comme ça:


Mais cela n'explique pas tout.

Après plus d'un an de résidence à Java je ne m'habitue toujours pas à être considérée avant tout et surtout, toujours et partout comme une blanchette, rien qu'une blanchette. Chaque fois que je mets le nez dehors je suis dévisagée,  montrée du doigt ou saluée comme le pape, je suscite l'ébahissement comme une panthère rose sortie de l'écran, les enfants ricanent, les jeunes filles pouffent, et hier soir encore tandis que je passais en vélo, trois jeunes gens qui grattaient joliment leur guitare se sont arrêtés de chanter, comme les cigales qu'on effraie sur son passage en été.
Le plus souvent, cette discrimination est amenée de façon très aimable. On me sourit, on me questionne sur mes origines, sur ma vie, et cela peut être perçu comme une courtoisie faite à l'étranger, respectant l'antique devoir d'hospitalité. 
Commercialement, j'ai parfois envie de faire mes courses avec un voile intégral pour obtenir le même prix que tout le monde. 
Quand les enfants m'interpellent, si je me retourne, bien souvent ils s'en vont en courant, certains me demandent de l'argent, d'autres apprécient que je les prenne en photo et mon appareil m'a souvent aidé à créer un lien.
Même si cela n'a rien à voir avec les discriminations injurieuses du racisme à la française, ces égards particuliers et incessants me turlupinent.



Souvent les gens demandent si Budi est mon employé (ce qui ne manque pas l'énerver un petit peu), puis ils sont hyper surpris d'apprendre que nous sommes mariés, et nous demandent comment cela est possible... Mais enfin, je ne suis pas une extra terrestre ni lui un orang-outan!

Un jour que nous empruntions comme les gens du coin un passage "pirate" emprunté par les gens de ce quartier, au travers d'une clôture pour traverser une voie ferrée, un passant est resté immobile, les yeux ronds, bouche bée derrière nous pendant un bon moment. Le Sultan de Yogyakarta dansant la samba en public ne lui aurait pas causé plus d'étonnement je crois.
A Jepara, je me déplace souvent en vélo, les premières fois j'ai entendu sur mon passage "Londo pakai sepeda!" = "un blanc sur un vélo! " comme si c'était un truc de dingue, du jamais vu. Dans un petit resto un jour, en commandant un plat local, j'ai suscité l'hilarité générale. C'était du jengkol, une sorte de haricot qui pousse dans un arbre, au goût prononcé et à la digestion un peu difficile, une nourriture pas très classe en somme mais qui ne rebute pas une mangeuse de fromage.

Bref, dans la tête des gens ici le blanchot reste un être vivant dans un monde sophistiqué  parallèle au leur et ça leur fait tout chose quand nos univers se croisent. 



Les canons de beauté indonésiens dénigrent les peaux foncées, ça fait paysan, arriéré. Les publicités montrent des acteurs au teint pâlot tandis que les vrais gens ont un joli teint cuivré. On vend du décolorant pour la peau comme en France du fond de teint brun. Mon mari a la peau brune (et c'est plus bel homme de la terre selon les plus fins connaisseurs), il a reçu parfois les quolibets des petites canailles. J'ai récemment rencontré une indonésienne mariée avec un nigérian qui s'attristait de voir ses enfants rejetés par les autres à cause de leurs cheveux en pétard et de leur peau métissée, dans le "mauvais" sens. Notre fils en revanche est loué pour sa beauté et on lui pince les joues sur les marchés en s'extasiant. 

Tous ces comportement impliquent l'idée d'une race blanche supérieure et je suis bien mal à l'aise d'être malgré moi l'actrice d'un scénario fabriqué dans la tête des gens par une histoire mondiale dont je suis le produit, certes mais pas individuellement responsable, et que je ne cautionne pas non plus particulièrement.

La longue colonisation de l'Indonésie et l'influence des sociétés occidentales dans le monde expliquent en partie ce complexe d'infériorité mais ne le rendent pas plus acceptable. 
D'autant qu'il est compensé aussi par certaines réactions de rejet, rarement vécues et plus sourdes, mais certains regards ne trompent pas. 



Les informations relatent les manifestations de groupes extrémistes qui clament haut et fort leur opposition aux valeurs véhiculées par la culture occidentale, mais au quotidien je n'ai jamais eu à souffrir de comportements agressifs du à ma "boulétude". 
Simplement en dehors des relations familiales et amicales, on fait forcément toujours cas de mes origines, et à la longue c'est frustrant d'être toujours considérée comme une blanchette au lieu d'une personne comme une autre.

Les trois images plus haut sont des détails de photos prises un jour que j'allais faire une course à Jepara avec mon fils sur le porte bagage. Face à nous une sorte de parade, un défilé de gens plus ou moins déguisés s'avançait en musique. Nous nous sommes arrêtés un instant pour apprécier le spectacle et essayer de comprendre en quel honneur tous ces gens paradaient, en me voyant ils se sont mis à crier joyeusement "Londo! Londo!" et redoublèrent d'enthousiasme en voyant mon appareil photo. En regardant de plus près ces photos, j'ai pu constater que ma "blanchitude" avait inversé la dynamique normale d'une parade, c'étaient eux qui observaient le public, enfin... une spectatrice seulement. L'arroseur arrosé.